Yeat est devenu un rappeur grand public, en 2024 plus que jamais. Son récent 2093 est un album à succès qui a grimpé très haut dans le Billboard. Les invités y sont rares, mais ce n'est que du lourd : Future, Lil Wayne, Childish Gambino (de façon moins ouverte), ainsi que Drake sur une version augmentée. Il y a aussi chez Noah Smith (son véritable nom) un goût marqué pour le maximalisme, un désir manifeste d'en mettre plein la vue avec son décorum voyant, ainsi (et c'est lié) que de faux airs de Travis Scott, ne serait-ce que sur le single "Breathe".

YEAT - 2093

Et pourtant, que sa musique est étrange. Que de chemin parcouru par le rap pour en arriver au succès d'un tel personnage. Que de transformations traversées par la trap music, dont on retrouve ici les vantardises insensées à propos des bijoux, des drogues, du sexe et de l’argent.

Yeat pousse un cran plus loin le style de gens qui, déjà, ont emmené la trap dans des directions inattendues : Future, auquel Yeat emprunte l’égotisme, le désordre sentimental, le désarroi, l'abandon dans les drogues et cet Auto-Tune à la fois déshumanisant et vulnérabilisant ; Young Thug, dont on retrouve ici les mélodies bizarres et imprévisibles ; et Playboi Carti, dont les beats à la rudesse electro ressemblent à ceux conçus avec GeoGotBands sur "Stand On It".

Yeat, aussi, aime les concepts, par exemple ces trémas qu'il place dans beaucoup de mots. Le thème aussi, est inhabituel. 2093 nous projette dans la société noire de l’année en question, dirigée par un CEO à la richesse si stratosphérique qu’il se permet de racheter la Terre. Cet homme mégalomane caractérisé par le matérialisme, l’insensibilité et le désenchantement, le rappeur prend un malin plaisir à l'incarner, livrant en creux une réflexion sur son propre succès.

Avec sa voix de cyborg déformée par l'Auto-Tune, sa musique distordue, ses paysages sonores étouffants, ses mélodies qui se transforment et qui désorientent, sa voix qui change souvent de tonalité, le style de Yeat ressemble bel et bien au futur. Certes, tout cela est desservi par des textes pas toujours sensationnels, par des effets si envahissants qu'ils en sont exténuants, par une longue durée et son corollaire obligatoire, le remplissage. Mais quand à mesure que l'album avance, il se met à tourner à plein régime, c'est remarquable, comme avec le virevoltant "Tell Më", l'entêtant duo avec Future "Stand On It" ou encore le somptueux "If We Being Rëal".

Une évolution bizarre, remplie de sons de science-fiction, d'influences electro et de thèmes dystopiques, qui peut s'avérer tout aussi bancale qu'impressionnante… La génération boom bap avait déjà connu cette mutation, il y a longtemps. Mais si les projets d'El-P, Dr. Octagon ou Mike Ladd ont été révérés, jamais ils n'ont connu l'exposition de l'après-trap music mutante de Yeat. Au fond, il y a peut-être à se réjouir de ce futur noir qui nous est annoncé par ce rappeur.

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