A qui doute que le Royaume-Uni est l'un des pays qui a su le mieux adapter le rap à son univers culturel rien qu'à lui (pas l'acclimater, mais vraiment le changer en autre chose, le transfigurer), il faut faire connaître le premier album de The Streets. Originaire de Birmingham, Mike Skinner est en effet un enfant de son pays, autant, sinon plus, qu'un héritier des rappeurs américains.

THE STREETS - Original Pirate Material

Côté sons, c'est avant tout sur les musiques britanniques du nouveau siècle, UK garage, two-step, dubstep, que s'exprime notre homme, plutôt que sur du boom bap. Il pose sa voix sur des nappes, sur une électronique transbahutée des clubs jusqu'à sa chambre, ou bien, à la marge, sur ces sons jamaïcains toujours si appréciés Outre-Manche ("Let's Push Things Forward").

Côté paroles, avec sa chronique de la vie ordinaire des jeunes des Midlands, avec ces écrits autobiographiques amers, nostalgiques ("Weak Become Heroes") ou dépressifs (le magnifique "Stay Positive"), avec ses histoires de filles, de drogue, de junk food, de jeux vidéo et de désœuvrement, il perpétue la tradition anglaise du commentaire social caustique représentée en leurs temps par Ray Davies, les Specials ou Billy Bragg. Ce sont des saynètes, qu'il met en scène, comme cette discussion imaginaire entre un adepte de weed et un hooligan enivré, s'opposant sur les risques respectifs de leurs drogues de prédilection ("The Irony of It All").

Avec son débit plus parlé que saccadé, Mike Skinner donne dans la spoken poetry plutôt que dans le rap. Il est le poète de l'Angleterre post-rave, tout comme John Cooper Clarke a été celui de l'après-punk. Et comme chez ce dernier la musique, qui paraît d'abord fonctionnelle, secondaire, vectrice d'ambiances, s'avère absolument décisive au fur et à mesure des écoutes.

Tout, chez The Streets, renvoie à son pays. Il use de l'accent cockney, il dit plus facilement "oï" que "yo", et il prend bien soin de ne jamais singer les modèles venus d'Outre-Atlantique.

Around here we say birds, not bitches

... proclame-t-il d'ailleurs, sur le bien nommé "Let's Push Things Forward", se moquant de l'argot américain que certains Britanniques ont bêtement cherché à importer dans leur musique.

Si seulement les apprentis rappeurs d'Europe retenaient la leçon… Mais il n'est pas dit, malgré les éloges réservés à Original Pirate Material, qu'ils aient tous eu le loisir d'écouter ce quasi-rap so british, si délicieusement bâtard, si métissé, si différent de tout ce qu'ils ont pu connaître.

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